Donner du sens à sa vie: ce que nous apprend Jung
Tout au long de notre existence, cette question de donner du sens à sa vie ressurgit. L’un des désaccords profonds qui mit un terme à la relation presque fusionnelle entre Freud et Jung est l’importance de l’inconscient dans la quête de sens. Pour Freud l’inconscient est une cave obscure où siègent nos désirs sexuels refoulés et nos souvenirs traumatiques.
Pour Jung la fonction de l’inconscient ne se limite pas là, il est aussi créatif et source d’inspiration. Selon lui, la psychothérapie ne se limite pas au traitement de pathologies mais sert également à un développement psychique et spirituel. Notre inconscient renferme donc aussi le sens de notre vie et vise à le réaliser.
Le sacré et la fonction religieuse pour donner du sens à sa vie
Un autre point de désaccord fondamental entre Freud et son “dauphin” Jung se situe au niveau de la fonction religieuse. Pour Freud elle est le résultat de notre peur de la mort alors que pour Jung elle favorise la collaboration entre notre psyché consciente et notre psyché inconsciente.
“C’est ce sentiment que la vie a un sens plus vaste que la simple existence individuelle qui permet à l’homme de s’élever au-dessus du mécanisme qui le réduit à gagner et à dépenser”
La question du divin est inscrite dans la psyché humaine de 3 manières:
- Dans la conscience, le Moi
- Dans l’inconscient personnel
- Dans l’inconscient collectif
Même si nous pensons ne pas avoir de préjugés philosophiques et religieux “le fondement même de notre pensée, de notre mode de vie, de notre morale et de notre langue est conditionné historiquement jusque dans les détails”. Ainsi même si consciemment nous pensons ne pas avoir de croyances philosophiques et religieuses, inconsciemment nous sommes influencés par notre vécu personnel et par l’empreinte socio-culturelle.
Nous sommes donc tous marqués par la religion, ses symboles et ses archétypes sont gravés en nous. La connaissance de soi passe donc forcément par la question religieuse et nos présuppositions spirituelles fondamentales.
Confronté au mystère de la vie et de la mort, l’être humain fait l’expérience affective du sacré, ce que Rudolf Otto appelle le “numineux”. C’est à la fois l’attraction et la répulsion, l’effroi et la fascination face à l’incompréhension et au mystère de la vie, du divin. Donner un sens à sa vie passe par ce face à face avec le divin.
La nécessité d’une vie symbolique
L’expérience intime et universelle du numineux serait donc au fondement de toute religion qui vont ensuite chercher à la domestiquer et à la rationaliser par des rites et de dogmes. Le sens premier de religieux pour Carl Gustav Jung est avant tout observer, scruter avec soin (Religere en latin) et ensuite de faire le lien (religare en latin).
Pour Jung l’âme est la totalité de la psyché humaine, c’est à dire le Moi conscient et ses types psychologiques, l’inconscient personnel, l’inconscient collectif et le Soi qui est le sujet de la totalité consciente et inconsciente. C’est un monde intermédiaire qui fait le lien entre le monde matérialiste de la psyché en tant qu’effet biomécanique et le monde spirituel. L’âme assure l’unité tout en conservant les différences.
La nécessité d’une vie symbolique (archétypes) permet au besoin de l’âme de s’exprimer. La pratique religieuse au sens d’observation attentive de sa vie peut être une source d’équilibre profond. Les personnes qui vivent des expériences religieuses profondes sont souvent les plus heureuses et équilibrées que Jung ait rencontrées.
Du Dieu extérieur au divin intérieur
Cette citation de Nietzche en 1882 tombe comme un couperet “Dieu est mort! Dieu reste mort! et c’est nous qui l’avons tué !”. Pour Jung aussi l’image du Dieu biblique, extérieur au monde est en perte de crédibilité en Occident. Ce qui à pour conséquence une perte de sens pour grand nombre de leurs contemporains (il semble que ce soit toujours d’actualité).
Cependant la notion de Dieu comme facteur inconnu en lui-même est gravé en nous comme nous l’avons vu au chapitre précédent. C’est ce qui amène Jung à dire “Je n’ai pas besoin de croire en Dieu, je sais”. Il reconnaît ainsi que l’archétype de Dieu est inscrit en chacun de nous. Chacun est libre de croire en un symbole spécifique qui convient à l’expression de son âme concernant cette expérience intérieure. Le fait que Dieu ne peut se percevoir qu’à travers une expérience de l’âme ne signifie pas pour autant qu’il n’existe que dans la psyché, sur ce point Jung ne se prononce pas.
“Qu’on le veuille ou non, la question du divin s’impose”, Oracle de Delphes.
La religion est avant tout une révélation intérieure déjà potentiellement inscrite dans la psyché. L’humain à besoin de sens et le religieux exprime, qu’on le veuille ou non, ce désir.
Donner un sens à sa vie au travers du processus d’individuation.
“Si un homme se connaît lui-même alors il connaîtra Dieu” Clément d’Alexandrie
Le processus d’individuation est une façon d’expérimenter le divin en soi. Cela ne veut pas dire que nous sommes Dieu, mais que nous faisons l’expérience de Dieu en unissant les mondes individuel et collectif et les mondes inconscient et conscient qui font l’unicité de notre personnalité. L’organisme psychique à pour finalité de s’autoréaliser et cela se passe en 3 grandes phases par lesquels “nous mourrons à un certain état pour revivre à un nouvel état”:
- Elargissement de la conscience: plusieurs contenus inconscients deviennent conscients
- Diminution de l’influence dominante et excessive de l’inconscient sur le conscient.
- Modification de la personnalité par la combinaison des 2 phases précédentes. Nos choix et attitudes sont plus conscients, nous ne sommes plus dans la réaction mais dans l’action consciente ce qui change profondément notre personnalité.
Le processus d’individuation ne s’arrête jamais, le Soi reste toujours en partie à découvrir. Pour Carole Sédillot “la traversée des zones obscures et les rencontres émanant de l’inconscient (…) amèneront à des prises de consciences de plus en plus fréquentes et efficaces”. Le processus d’individuation permet de combler notre besoin de sens par l’autoréalisation.
Conclusion
Vouloir donner du sens à sa vie nous met sur le chemin de l’individuation, c’est-à-dire de révéler cet être total qu’est le Soi, cette personnalité supérieure, idéale en nous. Ce cheminement se fait en traversant nos zones d’ombre et nous mène vers la question du divin.
Cependant Jung nous met en garde. Cette assimilation du Soi par le Moi entraîne l’inflation du Moi qui peut mener à la catastrophe psychique. Il reconnaît que ce qui l’a préservé de cet effondrement est dû en grande partie à sa famille, ses relations sociales et son travail.
Il en ressort 3 conditions qui doivent être respectées:
- Le Moi doit rester bien ancré dans le monde conscient.
- Le Soi ne doit pas être complètement assimilé au Moi
- Le Moi ne doit pas se confondre avec le soi.
Apprendre à se connaître et se réaliser est donc un chemin que nous pouvons entreprendre seul, mais notre entourage a également toute son importance. Il existe de nombreuses façons de prendre le chemin de la réalisation personnelle, c’est une quête intérieure mais pas solitaire. Se faire accompagner est donc toujours une bonne idée.
Un grand merci à Frédéric Lenoir pour son livre « Jung, un voyage vers soi » qui à grandement inspiré cet article et qui s’est approfondi au fil des recherches et expériences personnelles.